Les propositions que le gouvernement Petro présentera au sommet sur le changement climatique
À partir de demain, 30 novembre, près de 70 000 personnes se rassembleront à Dubaï, aux Émirats arabes unis, pour ce qui espère être la Conférence des parties sur le changement climatique avec le plus grand nombre de participants de l’histoire (COP28). Les débats autour de l’atténuation (maintenir la limite du réchauffement climatique en dessous de 2 °C d’ici la fin du siècle) ; l’adaptation (améliorer la capacité à faire face aux impacts déjà existants du changement climatique) et les moyens de mise en œuvre (outils permettant aux pays en développement d’atteindre les objectifs), seront les protagonistes des négociations climatiques atypiques qui se déroulent dans un pays pétrolier. Ils seront traversés par inquiétudes concernant le financement et les conflits mondiaux. (Lire Envisagez-vous des affaires pétrolières à la COP28 ? La Colombie nie y avoir participé)
La délégation colombienne est arrivée sur place et disposera cette année d’une équipe technique composée de différents portefeuilles, dont ceux de l’environnement, des relations extérieures, des finances et de l’énergie. Sebastián Carranza, directeur du changement climatique et de la gestion des risques du ministère de l’Environnement, dirige, avec la ministre Susana Muhamad, l’une des commissions qui mettront des propositions sur la table autour du rôle de la nature dans la lutte contre la crise climatique. Il a travaillé pendant plus de 12 ans dans la gouvernance environnementale et la gestion de projets pour l’action climatique, et a été négociateur devant la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. (Lire Quels sont les enjeux aux Émirats arabes unis, pays pétrolier qui accueille le sommet sur le climat ?)
Carranza a parlé avec Le spectateur sur les points clés que la Colombie soutiendra et présentera à la COP28.
Comment le pays a-t-il travaillé pour préparer ces négociations ?
L’une des choses les plus remarquables est que, pour cette Conférence des Parties (COP28), nous nous sommes concentrés sur l’élargissement du débat sur le changement climatique et des négociations à d’autres portefeuilles. Normalement, c’est une question que nous voyons du côté du Minambiente ou du ministère des Affaires étrangères. Mais cette année, nous avons un engagement très ambitieux, qui consiste à lier le ministère des Mines et de l’Énergie, le ministère du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme ; à Minagricultura, Mintransporte, Minvivienda et Minsalud. Et il y a un très grand intérêt de la part des ministres à participer à ce processus. Ainsi, ils ont travaillé pour analyser conjointement les positions que la Colombie défendra pendant les négociations, pour arriver à une position unifiée.
Et quelles sont ces positions que la Colombie va défendre ?
Ils peuvent être regroupés en trois grandes zones. La première consiste à trouver un langage, un signal politique puissant de la Conférence des Parties, pour sortir du pétrole, du charbon et du gaz, et atteindre collectivement l’objectif de l’Accord de Paris (en termes d’atténuation). C’est un débat très controversé. Mais, en plus, nous allons être dans un pays pétrolier par excellence ; et nous traversons un moment de crise énergétique découlant de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ainsi que des tensions géopolitiques liées au conflit palestino-israélien. Les grandes puissances, qui ont guidé le dossier énergétique, ont sans doute des vues diplomatiques traversées par tous ces aspects et qui se ressentiront dans les négociations.
L’objectif mondial est de réduire nos émissions de 45 % d’ici 2030. Cela signifie réduire presque de moitié les 60 gigatonnes que nous émettons chaque année dans le monde. Mais en réalité, ce que nous avons constaté l’année dernière, c’est une augmentation de 20 %. Alors, quelles sont les décisions que les pays devraient prendre, sur la base de l’équilibre mondial et du programme d’atténuation, pour se déconnecter des combustibles fossiles ? Pour la Colombie et le groupe de pays avec lesquels elle négocie, le langage doit être large et s’appliquer à tous les combustibles fossiles. Ne focalisons pas notre attention exclusivement sur le charbon.
Cela par rapport à l’atténuation, et qu’en est-il de l’adaptation ?
Pour le gouvernement, il est très important d’exprimer que la Colombie a un problème urgent d’adaptation. Notre condition de pays situé au nord de l’Amérique du Sud, avec les Andes traversant le territoire, avec la région insulaire de San Andrés et Providencia, avec le Pacifique, nous rend très vulnérables. Et nous sommes un pays qui perçoit déjà les impacts du changement climatique en termes de pertes et de dégâts. Nous l’avons vu avec des ouragans, des inondations torrentielles, des sécheresses ou des inondations prolongées.
Mais nous avons également montré que la nature était notre solution. Nous devons transcender cette vision des forêts exclusivement comme réservoirs de carbone et promouvoir les services écosystémiques qu’elles nous fournissent pour l’adaptation. Et bien sûr, favoriser également la valorisation de ces services. Pour nous, il est essentiel de montrer que la Colombie est un pays qui possède les solutions au débat.
Les négociations, aujourd’hui plus que jamais, bénéficient d’une forte pression de la part des pays en développement autour de la « justice climatique ». D’où la grande réussite de la création du fonds des pertes et dommages lors de la COP27. Quelle est la position de la Colombie sur cette question ?
Ceux qui subissent la plupart des impacts négatifs sont les populations vulnérables. Et dans le contexte colombien, ils sont non seulement vulnérables au risque climatique, mais ont historiquement accumulé des vulnérabilités découlant de la pauvreté, des inégalités et des conflits. Le fonds pour pertes et dommages et son opérationnalisation sont donc essentiels. Cependant, nous constatons que les discussions y ont été très diffuses. Et la grande préoccupation qui reste est que nous avons besoin de ressources qualifiées de concessionnelles, avec des intérêts différenciés ou, dans certains cas, même sans intérêts. Parce que nous en avons besoin pour remédier à ces pertes et dommages, mais en outre, plusieurs pays de notre région, et dans le cas particulier de la Colombie, disposent de très peu d’espace budgétaire pour pouvoir investir publiquement. Et ils supportent déjà un lourd fardeau de dette extérieure.
Pourquoi, au-delà des enjeux climatiques, le financement est-il un enjeu clé pour la Colombie ? Le pays a insisté sur un nouveau pacte financier mondial.
La Colombie a actuellement une multiplicité de programmes en cours, tels que la transition énergétique juste, la réforme rurale, la réforme agraire, la réindustrialisation et le programme de décarbonisation et de résilience. Tout cela converge dans un territoire qui a comme axes de transformation la mise en ordre autour de l’eau et la consolidation de la paix totale. Et à la lumière de cela, le cabinet a proposé un portefeuille de projets et de programmes qui cherchent à constituer un « câble de terre » pour ces transformations. L’idée est de dire au monde comment la Colombie identifie les investissements dont elle a besoin ; Quels sont les rôles et responsabilités des institutions dans le système financier international et comment un nouveau pacte financier mondial doit être généré pour garantir que ces transitions commencent à se produire de manière accélérée.
Ce sujet comporte plusieurs niveaux. Une question externe, qui concerne la manière dont le système financier doit repenser la manière dont les pays en développement, les pays les moins avancés, les pays les plus vulnérables, s’endettent. Parce que si nous disons que la crise climatique s’intensifie et qu’en parallèle il y a une crise de la dette, cela réduira les possibilités de pouvoir réaliser les investissements nécessaires pour faire face aux pertes et aux dommages. Et la voix de la Colombie a été reprise dans des espaces plus larges, disant : nous devons envisager quelque chose de différent, car si nous continuons comme nous le faisons, les pays auront de nombreuses difficultés à faire face à la crise.
L’autre niveau concerne les instruments techniques, les mécanismes, les véhicules financiers, entre autres, pour garantir que cette dette soit restructurée, allégée, échangée, réduite, renégociée. Et de nombreux éléments peuvent y entrer. Nous y avons travaillé avec le ministère des Finances et de la Planification nationale. Et l’un des aspects pour lesquels le pays a manifesté un intérêt constant est l’échange de dettes contre la nature ou contre l’action climatique.
Lors du sommet des ministres de l’Environnement à Panama, les pays d’Amérique latine se sont mis d’accord sur une position commune dans les négociations à venir. Pourquoi cette décision est-elle cruciale et quels objectifs poursuivent-ils ?
Historiquement, l’Amérique latine et les Caraïbes ont eu du mal à parvenir à des positions concertées au sein des instances régionales. La région compte, bien différenciés, au moins trois blocs de négociation : le bloc insulaire ; le bloc de l’Alliance indépendante latino-américaine et caribéenne (Ailac), dont fait partie la Colombie ; et l’alliance Brésil-Uruguay-Argentine (ABU). Et ces trois blocs ont des visions différentes du développement, de l’action climatique et des urgences différentes, en raison de la taille des pays et de leurs économies. Par conséquent, parvenir à un consensus régional, comme cela s’est produit au Panama, constitue un progrès considérable.
Nous nous sommes mis d’accord sur six points clés. La première est l’adoption urgente du fonds pour pertes et dommages. Nous devons le rendre opérationnel et comprendre quelles sont les modalités de son fonctionnement. La deuxième, promouvoir une union régionale qui recherche l’ambition dans un objectif mondial d’adaptation, car s’il y a quelque chose de commun et qui traverse toute la région, c’est bien le besoin urgent de s’adapter. Nos CDN pourraient avoir des actions coordonnées, elles pourraient rechercher un financement coordonné, un flux de ressources plus important et plus rapide pour l’adaptation, car par exemple nous partageons des écosystèmes comme l’Amazonie, comme la région insulaire des Caraïbes, comme les Andes ou le bassin du Pacifique, entre autres. .
Le troisième, le renforcement des systèmes d’alerte précoce, puisque toute la région accuse un retard important. Nous avons réalisé certains progrès, mais, dans tous les cas, nous avons besoin d’une meilleure et plus grande gestion des données, de l’activation de ces systèmes d’alerte précoce, de la participation citoyenne et de la construction autour de cela.
Le quatrième concerne les opportunités dont dispose cette région pour promouvoir un Fonds climatique pour les femmes autochtones. L’une des populations qui habite également toute l’Amérique latine et les Caraïbes est la population autochtone et, dans une large mesure, les femmes, les filles, les adolescents, les jeunes et les personnes âgées autochtones subissent de très lourdes conséquences climatiques. Et ils jouent des rôles de gestion dans leurs communautés qui sont fondamentaux pour agir face à la crise climatique. On voit donc que l’accès à ces ressources, l’accès à la propriété foncière, l’accès aux décisions économiques et sociales des femmes autochtones pourraient être soutenus par un fonds qui les différencie.
Cinquièmement, promouvoir des approches communes pour accroître les initiatives d’échange de dette contre nature. Et le dernier élément est la promotion de nos écosystèmes comme solution à la crise climatique. La forêt amazonienne en est une, mais évidemment le bassin du Pacifique, les récifs, les coraux, les herbiers marins, les forêts de haute montagne, les paramos, les bassins des grands fleuves sud-américains font tous partie d’une solution dans un continent qui a le privilège d’avoir les écosystèmes les moins touchés, par rapport à d’autres régions du monde. Et où la nature doit être reconnue politiquement et économiquement comme une solution à un problème mondial qui, par ailleurs, n’a pas été généré dans cette région.
* Envoyé spécial à Dubaï.
**Cet article a été produit dans le cadre du Climate Change Media Partnership 2023, une bourse de journalisme organisée par Earth Journalism Network d’Internews et le Stanley Center for Peace and Security.